Benoît Biteau, paysan agronome

Benoît Biteau, paysan agronome

Des conserves de souvenirs et d’avenir.

Des conserves de souvenirs et d’avenir.


 Récit avec liens musicaux et vidéos...


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 Carottes au romarin, haricots verts, ratatouilles au basilic et soupe de courgettes à la menthe selon la Recette de Mamapasta.
 10 Août 2015
 

Il est des activités du quotidien qui portent en elles la tendresse des jours heureux, passés ou à avenir. Et puis une certaine résistance active que nous ne soupçonnons pas…

Celle que l’on redécouvre, après quelques années à se perdre dans les mirages mensongers de l’alimentaire à taire, si bien habillés de fausse nostalgie, alors que ce n’est que tromperie vénale et marketing.

Je veux, bien entendu, évoquer les plats industriels déguisés en Mamie ou Tante Marie.

Tante Marie, je l’ai fréquentée quelques années, elle, et sa famille D’aussi, Bon-duel, et autres parents éloignés...hybrides sans goût ni gougniasse de cette « fumelle » assez spéciale. Toute pleine d’artifices, de chimie de synthèse, de faux semblants et d’additifs, cette Tante. Elle n’avait que de la chirurgie esthétique sous emballage comme garde robe jetable et toute publicité. Mais lorsque tu y goûtais, elle laissait juste son glutamate sur le bout de la langue et pleins de poubelles à incinérer.

La mienne, de famille, elle était modeste, bien mal fagotée de blouses à fleurs bleues ou de bleus de travail… et rieuse en fonction des aléas de la vie et de ses turpitudes, mais globalement, j’en ai un souvenir inégalé-sans doute idéalisé-mais les sentiments ne peuvent pas mentir. C’était de bons moments partagés, complices.

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Paul et moi dans le Loiret.

 J’ai connu les petits jardins ouvriers des faubourgs où mes grands-parents Paul et Régina,-les enfants des paysans de Puisaye- y puisaient quelques progrès factices de la vie moderne, mais sobrement, avec des habitudes paysannes qui perduraient… entre deux émissions télévisuelles en noir et blanc, avec Zitrone qui rouspétait ses courses de chevaux, c’était les promenades dans les bois en quête des champignons sauvages, les repas sous les tonnelles bricolées en pleine forêt, avec des objets hétéroclites dont des bestioles en conserves….les cerises et prunes du jardinet, la pêche en étangs ou en canaux,  les lapins en cages au fond de la cour où nous allions « aux toilettes », les mets odorants longuement préparés sur la cuisinière à bois et à charbon, les bocaux de cerises ou de mirabelles à l’eau de vie… la cocotte en fonte et la marmite qui fumaient. Cette vie de fêtes autour des tables sentait bon l’amour, le partage et l’affection comme ces tomates charnues, pelées, dont le goût était suspendu aux plus douces de nos lèvres, embrassant les joues froides et moites des grands-mères qui nous entouraient de leurs bras travailleurs pour des câlins furtifs dont on se souvient longtemps.


 

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La cabane à bocaux de vipères de pépé Paul en forêt de Montargis.

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Régina et Moi dans le jardin aux cerises et moineaux

 

Cette année, au sein de ma nouvelle vie de paysanne à la ferme, j’ai décidé de refaire un potager avec une envie furieuse d’en faire un acte symbolique, politique. Ce choix électoral et écologiste ne m’a pas déçue.

J’ai remué, semé, aimé. Je me souvenais de vous, mémées.

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Rolande, Régina, et moi.

 

Et en plein cœur de l’été, je me suis surprise à sentir l’odeur particulière de ces cornichons frais qui me ramenaient loin en arrière, lorsque petite, haute comme trois pommes, je parcourais les allées du jardin de Pépé Albert en Seine et Marne. Bébert, en effet, cultivait toute sorte de légumes pour la consommation familiale. Les années 70, ce n’est pas si loin et pourtant, combien de potagers familiaux ont disparu des habitudes et des jardins ?

Oui, comme j’aimais me griffer les jambes dans les feuillages piquants, à la découverte du trésor de ces petits cornichons qui pourtant vinaigrés, n’avaient pas ma préférence au palais ! Celui aussi, qui finissait lorsqu’il était géant, épluché, allongé dans un plat, égrainé et recouvert de sel pour dégorger…et à déguster comme un concombre un peu amer. Celui là aussi, je m’en souviens comme si c’était hier.

Et aujourd’hui, je reproduis ces gestes. Machinalement. Peut-être qu’un jour, j’aurais à mon tour, donné le goût de ces choses simples à d’autres enfants. J’aurais construis une partie de leurs petits bonheurs d’enfance rien qu’avec l’odeur de mon pain cuit, et du beurre artisanal fondu sur la mie chaude et parfumée…

Cueillette des haricots verts, tendres gousses faciles, recherche des patates enfouies dans le sol,  œufs cachés dans le bois et la cabane des poules…que d’odeurs pénétrantes à jamais dans la mémoire ! Et puis cette chélidoine au suc jaune sur mes verrues torturées auparavant par quelques médecines chimiques… son odeur est reconnaissable entre mille ! Magiques plantes sauvages !  

Il ne se passe pas un instant, lorsque je refais ces gestes, et souvent à l’aide des outils de mes ancêtres, sans que je ne repense à eux. Ils sont le lien entre leur ciel et ma terre.

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Albert et Rolande.


Chez Bébert, c’était les sixties entre deux bals musette et la musette en pleine nature pour déjeuner sur l'herbe en allant à la pêche aux carpes.

Carpe diem. Le dénicheur. Ça valse dans ma tête. Mille temps. Le temps d’avant.

Lorsque les placards s’ouvraient, c’était un festival de couleurs gourmandes immortalisées dans le verre que le caoutchouc orange écartait des ravages de l’air ambiant.

Ambiance ! C’était un spectacle visuel qui allumait les papilles. A l’orchestre préparatoire, Mémée Rolande, en tablier,  agitait les couverts, les casseroles et les ustensiles dans sa cuisine en formica.

Peut-être entendait-on un 45 tours de Sacha Distel sur le vieux tourne disque au salon ou encore les twists des yéyés, la voix de Dalida en bikini ?

Rien ne valait alors le swing du palais, lorsqu’Albert et Rolande ouvraient et offraient leurs trésors au banquet du dimanche.

Des bocaux. Des conserves. Des pâtés. Des légumes. Des fruits. Des condiments. Des confitures.

Asperges, tomates, haricots, ratatouille, carottes, choux, poires, pêches, abricots…des fruits au sirop

Leurs placards ou leurs caves, c’était leur travail de la terre et des saisons en exposition !

Des natures vivantes à déguster des yeux et la bouche en cœur !

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Nature morte chez mes grands-parents.

 

Il faut préciser qu’enfants de paysans, eux aussi, et de paysans pauvres, ils ont gardé certains principes de base : l’autonomie alimentaire, toute simple.

Tellement simple qu’aujourd’hui les scientistes fous te traitent de terroriste illuminé écologiste si tu as le malheur de te passer de leurs succédanés très chers payés qui bousillent les paysages et les rivières de notre enfance. A notre grande chance pour ma génération, nous avons pu faire la différence entre l’insipide et le naturel. Entre la chimie et le bio. Et si je raccourci, ça fait chimio. Et cette dernière est un plat de résistance pour beaucoup trop de monde aujourd’hui, victime de son manque de mémoire et d’imaginaire créatif, trop séduits par les Tantes à cules de la merdebouffe industrielle si bien emballée de mensonges. Les fameuses Tantes de misère et chimères !

 Alors aujourd’hui, récolter toutes ces richesses si facilement venues au creux de cette terre amendée par du fumier naturel, c’est effectivement un acte politique. Un acte libre. Un acte de vertu, un acte reliant. Un acte de mémoire et d’avenir. Il n’y a rien de plus jouissif que de le mettre en bocaux parfaits pour partager mes souvenirs des jardins extraordinaires où coule la sève de l’espoir à  transmettre, partager, déguster et libérer.

Mettez votre amour en bocaux et il ne sera pas stérile. Il se multipliera, c’est tout le paradoxe de la cuisine familiale !

 

Stéphanie Muzard, 10 Août 2015

 

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11/08/2015
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