Benoît Biteau, paysan agronome

Benoît Biteau, paysan agronome

Tribune dans Marianne avec @Benoît Biteau, José Bové et Yannick Jadot]

Agriculture européenne : Donald Trump sera-t-il l'architecte caché de la PAC ?[Tribune dans Marianne avec Benoît Biteau, José Bové et Yannick Jadot]

Comment parler de souveraineté alimentaire européenne si nous sommes soumis aux accords de Blair House ? Comment le Président Macron et le Ministre Denormandie peuvent-ils nous parler d'un "plan protéines" quand nous sommes limités par ces mêmes accords à n'en produire qu'une faible quantité ?

Cette #PAC n'a été rédigée ni dans l'intérêt des paysan∙ne∙s, ni dans celui des consommateurs∙trices, et encore moins dans celui des générations futures. Anachronique, toxique et trompeuse, cette copie doit être intégralement révisée !

Nous avons beaucoup mieux à proposer qu'une PAC au service de Trump et Bolsonaro !

 

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Tribune

Par Benoît Biteau , Yannick Jadot et José Bové

Publié le 

 

Benoît Biteau et Yannick Jadot, députés européens écologistes, ainsi que José Bové, ancien député européen écologiste dénoncent la prochaine réforme de la Politique agricole commune (PAC).

Depuis la Seconde Guerre mondiale, pour contrepartie du Plan Marshall puis de la Politique agricole commune, les pays d'Europe de l'Ouest ont accepté de laisser entrer sans droit de douane des montagnes de soja et de tourteaux de colza en provenance des États-Unis. Ces arrivées massives de protéines végétales ont eu des conséquences désastreuses. Elles ont cassé le lien entre les cultures, les prairies et l'élevage, jusqu’à menacer l’idée même de "terroir" qui fait pourtant la fierté de nos gastronomies européennes.

Les usines à viande de bovins, de porcs ou de poulets ont commencé à sortir du sol en Bretagne et dans le grand-ouest, à côté des ports où les cargos, en provenance des États-Unis, déchargeaient des centaines puis des millions de tonnes de soja et autres protéines végétales. Cette dépendance de la France et de l'Europe nous a été imposée il y a plus de soixante ans. À son tour, l'Europe s'est mise à brader ses excédents de céréales, de viandes et de lait sur les pays tiers, exportant ainsi une partie de sa crise agricole sur ses anciennes colonies, maintenant l'Afrique et le Maghreb dans une forme de dépendance. La mondialisation de la malbouffe, de la souffrance animale, de la destruction des écosystèmes n’a cessé de s’accélérer, sacrifiant toujours plus les paysans au Nord et au Sud.

QUAND L'UE SE COUCHE DEVANT TRUMP

À la veille de la création de l'Organisation Mondiale du Commerce, en décembre 1992, le soja restait la principale pierre d'achoppement entre les Etats-Unis et la Communauté européenne. Réunis dans la résidence présidentielle de Blair House à Washington, les négociateurs européens et américains parvenaient à un accord : l'Europe des 12 acceptait de limiter sa production de soja et autres cultures d'oléoprotéagineux (colza et tournesol) à une surface de 5,2 millions d'hectares pour les douze pays. Comble de l’absurdité, l'élargissement de l'UE à 27 États n'a entraîné aucune modification de cet accord. Les deux plus grandes puissances économiques et militaires de la planète s'étaient mises en ordre de marche pour créer, puis imposer l'OMC.

 
 

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À partir de cette date, le libéralisme économique va souffler sur la planète. L'Accord de Marrakech détruira des centaines de millions de petites fermes dans les pays du sud. L'exode rural, sans précédent, est le premier pas vers l'exil pour des centaines de milliers de jeunes qui tentent désespérément de trouver un emploi dans les bidonvilles, en Europe ou aux États-Unis. L’exil a été et reste une des conséquences les plus désastreuses de cet accord de Blair House. L'impact de ces politiques néolibérales sera également rude en Europe et aux États-Unis, où les zones rurales continuent de se vider à un rythme accéléré. En 1992 la France comptait près de 1,2 million de fermes. Elles ne sont plus que 320.000 en 2019 et seulement moins de 10 % d’entre elles sont valorisées par des paysans de moins de trente-cinq ans.

UNE AGRICULTURE À BOUT DE SOUFFLE

L'agriculture européenne est à bout de souffle. Le productivisme a engendré des élevages-prisons qui emprisonnent des milliers de vaches, de volailles ou de cochons, des champs de céréales immenses où la biodiversité est inexistante et où l'érosion des sols est inquiétante. Les eaux, surexploitées par l’irrigation du maïs, sont aussi polluées par les nitrates et par les pesticides auxquels ces pratiques industrielles, aux antipodes de l’agro-écologie, ont abondamment recours. Les plages de Bretagne, des îles de Ré et d’Oléron sont souillées par les marées vertes, l’écosystème marin est en grave danger, le dérèglement climatique s’emballe et le nombre de cancers a explosé, sans parler des suicides des paysans.

La prochaine réforme de la PAC aurait dû corriger ces déséquilibres. Elle n'en fait rien. Pire, elle grave cette situation dans le marbre. En 2018, Trump fait feu de tout bois pour réduire le déficit commercial de son pays. Il annonce qu'il va taxer l'acier et l'aluminium européen. Dans l'urgence, le Commissaire à l'agriculture Phil Hogan réintroduit l'Accord de Blair House dans la PAC. Il place l'article 33 au cœur de sa réforme. L’Europe se lie les mains derrière le dos. En juillet 2018, le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, se rend à Washington pour rassurer Donald Trump. Une nouvelle fois, l'Europe a plié l'échine. Le soja américain continuera d'envahir l'Europe. Entre août 2018 et avril 2019, les importations de soja OGM arrosées de glyphosate augmentent de 120 %. Sur les 14 millions de tonnes de graines de soja qui arrivent dans les ports européens, plus de 8,2 millions viennent des États-Unis, le reste est expédié du Brésil et des grandes exploitations installées sur les cendres de la forêt amazonienne.

RISQUE POUR LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE

Lors de l'inauguration du salon de l'Agriculture en février 2019 à la veille des élections européennes, Emmanuel Macron déclarait qu'"aucun agriculteur, aucun consommateur ne souhaite être soumis aux normes, au prix et aux diktats de non-Européens."  C'est pourtant ce que l'Europe s’apprête à faire, et il le sait. Si cette PAC est votée au Parlement européen à la fin du mois d'octobre, l’UE pourra tirer un trait sur sa souveraineté alimentaire, et toutes les propositions de plans protéiques du ministre français Julien Denormandie resteront lettre morte.

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Voter pour cette réforme reviendrait à fermer les yeux sur les incohérences des politiques agricoles et commerciales de la France, de l'Europe et du monde. Nous ne nous contenterons pas d’un verdissement cosmétique qui ne remet pas en cause la catastrophe sociale, écologique et sanitaire.

Le meilleur est à portée de main… et d’un vote du Parlement européen

La PAC doit se reconstruire avec et pour les paysans. C’est notre agriculture, notre alimentation, notre environnement, notre santé. Ce sont nos terroirs. Elle ne peut plus être l’otage d’une géopolitique qui sacrifie l’essentiel aux intérêts de quelques grandes firmes et des lubies de Trump ou de Bolsonaro. Partout, des paysans démontrent qu’un modèle agricole et alimentaire résilient et souverain, est possible, qu’on peut nourrir sans détruire ni le climat ni la biodiversité. Ne nous résignons pas au pire. Le meilleur est à portée de main… et d’un vote du Parlement européen.

 

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09/10/2020
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