Benoît Biteau, paysan agronome

Benoît Biteau, paysan agronome

Les Etats généraux de l'alimentation 2017

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Bien sûr que nous devons améliorer le revenu des agriculteurs en payant mieux les produits agricoles, en encadrant les marges des  intermédiaires, mais attention à ne pas nous tromper de débats ou à être trop réducteur dans le cadre de ces Etats Généraux  de l’alimentation, et totalement passer à coté d’une approche globale, d’une vision à long terme passant nécessairement par la refonte du modèle agricole nous permettant d’espérer .        

 

Avancer vers une agriculture humaniste, responsable et citoyenne !

 

 

Sans remettre en cause sa fonction alimentaire essentielle, intrinsèque, ayant d’ailleurs été l’alibi du développement de son modèle productiviste ces dernières décennies, l’agriculture industrialisée, à la lumière des dégâts provoqués par ce modèle aujourd’hui généralisé mais éculé, doit repenser, refondre sa façon de produire et s’engager franchement dans la triple performance du développement durable : sociale, économique et écologique, dans l’intérêt supérieur des générations futures, et de l’agriculture elle-même.

 

Au-delà du fait que cette agriculture « moderne » occupe 70 % de l’espace terrestre, mobilise 80 % de la ressource en eau douce chaque été, quel que ce soit l’échelon territorial retenu, et fournit entre 25 à 30 % des gaz à effet de serre produit par les activités humaines, elle mobilise aussi des enveloppes publiques importantes, en amont des gestes de production via la PAC (11,5 milliards d’€uros chaque année en France), puis en aval pour réparer les dégâts de ce modèle sur les équilibres, sur les ressources et l’eau en particulier (54 milliards d’euros par an pour restaurer la potabilité de l’eau souillée par les pesticides et les nitrates qu’envoi dans la ressource en eau le modèle agricole qui perçoit, en amont, les 11,5 milliards d’euros d’aides de la PAC - Source : Conseil Général de l’Ecologie et du Développement Durable, Octobre 2011 - http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ED52-2.pdf), sur les biodiversités sauvages et domestiques (L’INRA dans son rapport sur la biodiversité de Juin 2008, annonce un cout annuel pour la préservation et la restauration de la biodiversité dégradée par l’agriculture qui reçoit en amont 11,5 milliards d’euros de la PAC, de 100 milliards d’euros environ - http://inra.dam.front.pad.brainsonic.com/ressources/afile/234059-2ef2b-resource-expertise-agriculture-et-biodiversite-premiere-page-et-sommaire.html) , sur le climat et la santé.

 

Ces constats obligent à replacer le sujet de l’agriculture dans un véritable débat de société et à repenser les pratiques agricoles, pour restaurer un contrat moral acceptable avec les citoyens contribuables supportant de moins en moins la pression fiscale nécessaire à la réparation de ces dégâts, et surtout, pour préparer un avenir digne aux générations futures, qui intègre une approche globale et systémique, finalement basée sur le bio-mimétisme de modèles productifs équilibrés (forêt par exemple), inspirant l’émergence d’un modèle agricole productif tout en respectant :

 

            -1. L’emploi. La rapidité à laquelle disparaissent des fermes pourtant viables, au profit d’agrandissements, amplifiant d’ailleurs les différences de traitement au regard des aides publiques, provoque un évident mal être chez les paysans, mais aussi une accélération de la destruction du tissu rural, artisanal et économique local (disparitions des laiteries, des abattoirs, des commerçants, des artisans, des services publics de proximité, etc.) par opposition avec la relocalisation que propose une agriculture paysanne et (ou) biologique créatrice d’emplois non délocalisables en agriculture en particulier, et en milieu rural en général.

 

-2. Les équilibres. Dans une approche territoriale cohérente, il est nécessaire, indispensable, d’accepter le principe, que cette activité économique autant consommatrice d’espaces et de ressources, doit intégrer l’ensemble de ses environnements, qu’ils soient sociaux, économiques ou écologiques. La volonté de préservation, et de restauration, quand ils sont dégradés, des équilibres est donc parfaitement incontournable. Dans cette approche globale, intégrant la mobilisation d’importantes enveloppes publiques, l’agriculture qui les accepte ne peut convoquer la notion de contraintes (environnementales par exemple), mais doit accepter la notion d’obligations. C’est par exemple donner de la force au lien Terre - Mer en intégrant, qu’au fil de l’eau, les activités terrestres finissent par modifier, impacter les milieux littoraux, côtiers et maritimes et donc les activités culturelles, touristiques et de baignades, de conchylicultures et de pêches. L’agriculture doit donc, dans cette approche globale et systémique, intégrer des pratiques respectueuses de ces enjeux, de ces acteurs interdépendants. Les fortes mortalités des abeilles, des coquillages, les fortes régressions des ressources piscicoles sont autant d’indicateurs de perturbations majeures de ces équilibres.

 

-3. Les ressources, et l’eau en particulier, dans sa dimension quantitative, comme qualitative.

80 % de l’eau douce en été est mobilisée pour l’irrigation, essentiellement d’un maïs hybride ayant perdu toutes ses caractéristiques de rusticité dans la sélection de variétés standardisées, homogénéisées, dont la production n’est possible qu’à grand renfort d’engrais de synthèse, de pesticides et d’irrigation, dont l’usage est désastreux sur la ressource en eau, tant dans sa dimension quantitative que qualitative. C’est, par exemple, la cause de 2 000 kilomètres de cours d’eau à sec chaque année en Poitou-Charentes (Source ORE) ou encore de la nécessité de s’acquitter en France, avec l’argent public des contribuables, d’une facture annuelle de 54 milliards d’euros pour retirer les pesticides et les nitrates ayant rejoins les gisements d’eau potable (Source : CGEDD - 2011). Nous devons donc, avant que la ressource ne soit dégradée de façon irréversible, malgré l’énorme effort financier engagé dans les logiques curatives (stockage de l’eau, station de potabilisation, interconnections des réseaux, etc.), adopter des logiques préventives, et donc responsables, portées par des pratiques agricoles économes en eau et non polluantes. (Source CNRS, Paul Passy, Istra Orgeval). L’Agriculture Biologique est aujourd’hui scientifiquement avérée comme la seule réponse efficace à ces enjeux.

 

            -4. Les biodiversités, sauvages et domestiques. Les substances de synthèse (engrais et pesticides) massivement utilisées en agriculture, au-delà de leur lourd impact négatif sur la ressource en eau, sont également un outil de destruction massive de la biodiversité sauvage, qu’elle soit faunistique, botanique ou microbienne. Pourtant, cette biodiversité, dans la recherche d’équilibres pertinents, est indiscutablement un véritable allié de l’agriculture, que ce soit dans le cadre de la vie des sols (bactéries, champignons, insectes, lombrics, etc.), de la protection des cultures (rapaces, mammifères prédateurs, insectes, etc.), ou même de la protection des ressources ou du climat (arbres, prairies, etc.). Le modèle agricole productiviste est l’un des plus importants destructeurs de cette biodiversité (Source : INRA - Mars 2010). Continuer dans cette voie relève du sabordage.

Dans cette même logique, la biodiversité domestique, est gage d’une bonne adaptation aux conditions de milieu (pédologie et climat) qui s’imposent à l’agriculteur. Les variétés et races locales, encore appelées écotypes, issues d’une sélection convergente des hommes et du milieu, en constante évolution avec les évolutions du milieu, sont la garantie d’une adaptation efficace de la capacité de produire en quantité suffisante, des produits de qualité authentiques et identitaires permis par la (re)création d’un fort lien au terroir.

 

            -5. Le climat. Au lendemain de la conférence planétaire sur le climat COP 21, à Paris en décembre 2015, nous pouvons, nous devons montrer que l’agriculture qui participe aujourd’hui au changement climatique (émettrice de 25 à 30 % des gaz à effet de serre), peut inverser la tendance et devenir l’une des activités économiques pouvant ralentir, atténuer, inverser les tendances du changement climatique, en s’affranchissant de sa dépendance au pétrole, permettant ainsi d’allumer un cercle vertueux. En effet, les mêmes engrais de synthèse et pesticides qui dégradent les équilibres, les ressources, la biodiversité sauvage et la santé des consommateurs d’ailleurs, sont tous des dérivés pétroliers et donc à l’origine d’une part importante de l’émission de gaz à effet de serre dans leur fabrication, mais sont aussi à l’origine d’émissions importantes par les sols de protoxyde d’azote (N2O), 310 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2) dans le réchauffement climatique.

Pour produire 1 hectare de blé, de colza ou de maïs, le modèle agricole productiviste mobilise entre 200 et 270 kilos d’azote par ha, ce qui créé une dépendance au pétrole par hectare et par an, avant même de commencer à faire tourner les moteurs des tracteurs, de 300 à 400 litres de pétrole. Comment, au-delà de l’impact de ce modèle agricole sur le changement climatique, va-t-il pouvoir être l’artisan de la souveraineté alimentaire, quand en 2050 la terre sera peuplée de 9,5 milliards d’humains, et que dans le même temps……………il n’y aura plus de pétrole ? Il y a donc urgence à bâtir maintenant l’après-pétrole en agriculture et à cesser la forte émission de protoxyde d’azote par les sols agricoles.

 

 

 

La réduction des gaz à effets de serre liés à l’agriculture constitue donc le premier axe fort de la contribution de celle-ci à l’endiguement du changement climatique. Il passe aussi par la redécouverte de pratiques agronomiques abouties, dont l’arbre agroforestier est la porte d’entrée incontournable, qui permettent de savoir mobiliser des ressources parfaitement gratuites et parfaitement inépuisables que sont la lumière, le carbone, l’azote atmosphérique, la vie des sols, la biodiversité, etc. rendu possible par la magie de la photosynthèse, par la faculté des légumineuses à développer une symbiose avec des bactéries fixant l’azote atmosphérique et par l’association de cultures sachant réciproquement tirer profit des aptitudes et des particularités de sa voisine (exemple : Blé - Féverole, lentille - cameline, lentillon - seigle, orge - pois, etc.).

 

Le second axe fort est le rôle que peut jouer l’agriculture dans la séquestration du carbone.

Les ruminants souvent montrés du doigt pour leurs émissions importantes de méthane (CH4) (et c’est le cas dans les modes d’élevage concentrationnaires d’herbivores qui ne mangent plus d’herbe, mais du maïs complété par du soja OGM importé), en redevenant des herbivores qui mangent de l’herbe, peuvent aussi être les acteurs de l’entretien d’espaces prairiaux remarquables, souvent patrimoniaux dans l’hébergement d’une riche biodiversité et dans leur rôle d’épuration de l’eau, qu’elle soit potable ou destinée à rejoindre la mer, et qui constituent aussi de formidables espaces de séquestration du carbone.

Le mouvement « Végan » n’intègre absolument pas ce rôle fondamental joué par des herbivores qui mangent de l’herbe. Leur manque de discernement sur l’élevage en font donc, a vouloir faire disparaitre tous les élevages, des alliés objectifs des industries agro-alimentaires préparant l’avenir de l’alimentation avec des cellules souches ou des produits de synthèse. 

Les espaces dédiés aux productions annuelles de céréales, oléagineux et protéagineux, qui ne reçoivent plus de substances de synthèse (engrais ou pesticides) voient également le retour d’une vie du sol à multiples facettes, dont l’une d’elles est sa forte capacité à séquestrer du carbone.

 

            -6. La santé. Le lien entre les pesticides et la santé, ne sont plus à démontrer. Des milliers de publications scientifiques font un lien indiscutable entre pesticides et santé, pour les agriculteurs utilisateurs eux-mêmes, les riverains, mais aussi les consommateurs de produits alimentaires obtenus par les méthodes agricoles chimiques du modèle agricole dominant, avec, depuis ces dernières décennies, des statistiques alarmantes sur les enfants. L’agriculture doit donc absolument, s’engager vers la souveraineté alimentaire, mais avec des produits de qualité n’impactant pas la santé de ceux les consommant, ni celle des ruraux et riverains subissant les expositions involontaires à ces produits nocifs.

Par ailleurs, ce que mangent les herbivores influence aussi les caractéristiques nutritionnelles du lait et de la viande qu’ils produisent, notamment sa teneur en acides gras.

Ces particules de gras ont des effets variés sur la santé. Elles ont été observées à la loupe par la recherche à cause des soupçons qui pèsent sur leurs effets : elles jouent un rôle clé dans les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité et certains cancers.

Les études se sont multipliées et il a été découvert que la nature de ces matières grasses pouvaient être rapidement modulée par l’alimentation des ruminants, il y a notamment une relation linéaire entre la part d’herbe dans la ration des vaches laitières et la teneur en oméga 3 du lait et de la viande. Les Oméga 3 ont de puissantes fonctions anti-inflammatoires, et font donc partie des bons acides gras.

 

Le régime alimentaire des herbivores basé sur le binôme maïs-soja, engendre la production de lait et de viande déséquilibrés en Oméga3/Oméga6. Idéalement, le rapport O6/O3 doit être inférieur à 4. Tout dépend donc de l’équilibre de l’alimentation : plus on verse de maïs dans les mangeoires, plus les herbivores produisent du lait et de la viande chargés des mauvais Oméga 6. Les herbivores qui engloutissent 60% d’ensilage de maïs produisent un lait et de la viande totalement déséquilibrés en acide gras : le rapport O6/O3 atteint alors 7,6 ! Près de quatre fois plus que les ruminants dont la ration alimentaire contient 80% de pâturage et de foin, selon les études menées par l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Très carencé en protéines, le maïs doit en plus être complété par une légumineuse, en général, le soja, dont le bilan en acides gras est également désastreux et participe ainsi également à l’inflammation généralisée.

 

 

Afin de pouvoir permettre à l’agriculture de s’engager durablement sur cette voie vertueuse, les politiques publiques doivent concentrer leurs efforts sur :

            -1. La réduction des marges bénéficiaires des intermédiaires pour améliorer la rémunération des producteurs.

            -2. Engager une nouvelle PAC, pour véritablement et significativement la réorienter vers les modèles les plus vertueux, rémunérant les multiples services que peut rendre l’agriculture au-delà de sa dimension productive, choisissant l’attribution d’aides par unité de travail humain, plutôt que par hectare, dont les éleveurs en modèle herbagé, par exemple, seraient inévitablement les grands bénéficiaires.

            -3. En contrepartie, dans une forme de réciprocité, exiger une réorientation des productions agricoles qui reviendraient vers des fondamentaux agronomiques, hier appelés « bon sens paysan », allumant des cercles vertueux, permettant des avancées significatives sur :

                        -3.1. La réduction, voire la disparition, de l’usage des substances de synthèse sur les surfaces agricoles, grâce à un modèle agronomique autonome sachant mobiliser des ressources parfaitement gratuites et parfaitement inépuisables (azote organique, carbone, lumière, vie des sols, biodiversité, etc.), et sur des herbages proposant une ration équilibrée en énergie et en protéines, remplissant ses vocations territoriales de stockage et d’épuration de l’eau avant qu’elle ne rejoigne le littoral, tout en restant des formidables zones de séquestration du carbone, participant à lutter contre le changement climatique.

                        -3.2. La récréation de liens au terroir, avec des herbivores mangeant de l’herbe, des productions végétales identitaires à l’origine de produits à hautes valeurs organoleptiques, redonnant du sens aux signes officiels de qualité.

                        -3.3. La restauration de zones prairiales et cultivées à forts enjeux patrimoniaux, hébergeant une vaste biodiversité faunistique et botanique, préservant la qualité de l’eau, et proposant des paysages remarquables et originaux (agroforesterie), tout en œuvrant en direction d’une forte ambition pour le bien être animal, et la santé des consommateurs.

            -4. S’autoriser à réorienter les colossales enveloppes publiques aujourd’hui mobilisées dans des logiques curatives (dépollution de l’eau, restauration de la biodiversité, lutte contre le changement climatique, pathologies environnementales, etc….), comme par exemple le budget des Agences de l’Eau, vers des logiques préventives venant très significativement compléter les aides de la PAC (de plusieurs dizaines de milliards d’€uros!) et soutenir un modèle agricole vertueux. Les logiques préventives d’accompagnement d’un modèle agricole productif tout en restant respectueux, à la lumière de l’expérience de Munich ou de la ville de New York pour préserver l’eau potable, s’avère être entre 17 et 27 moins couteux que les politiques curatives a engager après les dégradations.

 

Les multiples crises agricoles que nous venons de traverser ne sont donc pas conjoncturelles, et sont en réalité une crise structurelle des modèles, de laquelle il est possible de sortir en revenant aux fondamentaux allumant un cercle vertueux, rendant accessibles des produits de qualité pour tous, tout en préservant les capacités de la terre (avec un petit t) et de la Terre (avec un grand T) à produire demain.

Et prendre l’engagement, dès maintenant, de manger tous, manger sain, manger juste, tout en permettant un revenu correct aux paysans.

 

 

Benoit BITEAU

 

Ingénieur des Techniques Agricoles & Généticien

Conservateur du Patrimoine Technique, Scientifique & Naturel

Paysan Bio

Lauréat 2009 du Trophée National de l'Agriculture Durable

 

Vice-Président de la Région Poitou-Charentes en charge de la Ruralité, l’Agriculture, la Pêche et les Cultures Marines, de 2010 à 2015.

Conseiller régional délégué à la mer de la Région Nouvelle-Aquitaine - Président du groupe PRG, depuis 2016.

Président du Forum des Marais Atlantiques - Pôle relais national pour les Zones Humides : Marais Atlantiques, Manche, et Mer du Nord.

Président du Conservatoire Régional des Espaces Naturels de Poitou-Charentes.

Membre du Conseil Maritime de Façade "Sud Atlantique".

Président de la Commission Mixte "Lien Terre - Mer".

Administrateur de l'Agence de l'Eau Adour - Garonne - Président de la Commission Territoriale « Charente ».

Membre du Comité de Bassin de l'Agence de l'Eau Loire - Bretagne.

Administrateur du Conservatoire du Littoral - Rivage Sud Ouest Atlantique.

 


seudre-identiterre@orange.fr


06 30 01 31 36

 



31/07/2017
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